La Wallonie se distingue aujourd’hui comme un leader mondial des biotechnologies, couvrant des secteurs tels que la biopharma, les healthtech, la bioproduction, les thérapies avancées, la médecine nucléaire et l’agriculture biologique. Pour maintenir cette avance dans un environnement international ultra-compétitif, la digitalisation est un levier clé. L'Agence du Numérique dans le cadre du programme Industrie du Futur de Digital Wallonia a croisé les avis de quatre acteurs de terrain.
Regards croisés
Petit tour d’horizon en ce début d’année en compagnie de quatre acteurs de terrain :
- Dominique Demonté, CEO du Brussels South Charleroi Biopark,
- Christelle Henrotin, conseillère entreprises biotech chez IDELUX,
- Thierry Ferain, directeur du programme innovation et excellence scientifique du Pôle de compétitivité BioWin
- Frédéric Druck, directeur général d’Essenscia Wallonie, fédération belge des industries chimiques et des sciences de la vie.
10.000 nouveaux emplois dans la filière du biomanufacturing à l’horizon 2035 : c’est l’ambition partagée par Dominique Demonté, CEO du Biopark de Gosselies, l’été dernier (L’Echo, 05/07/24).
À grandes ambitions, stratégies adaptées : la Wallonie s’appuie sur un siècle de connaissances en chimie, la qualité de la recherche et le développement de son industrie pharmaceutique. Son écosystème biotechs, incluant universités, spin-offs et entreprises de conseil, ne cesse de croître, avec une place importante pour l’innovation digitale.
Des exemples d’innovation
SalamanderU (Novalis Science Park d’IDELUX). Solutions innovantes comme SmartReg, une application “speech to text” pour optimiser le reporting.
MachineSight (Marche-en-Famenne) et KUM Technic (Marloie). Digitalisation et robotisation des lignes de production.
C’est l’effet vertueux d’une industrie performante et exportatrice, qui crée des besoins et génère de la valeur ajoutée, notamment grâce à la digitalisation du secteur.
Digitalisation et défis
"Les biotechs en Wallonie, c’est un secteur déjà bien digitalisé ", commente Dominique Demonté (Biopark). Les grandes entreprises ont des feuilles de route digitales, tandis que les PME utilisent des ERP comme Odoo.
"Aujourd’hui érigée en levier stratégique, la digitalisation pose toute une série de défis aux entreprises du secteur dont les processus de production requièrent une grande exigence en termes de qualité, de conformité aux normes, et de traçabilité " commente Thierry Ferain (Biowin).
“ Qu’il s’agisse d’optimisation des coûts de production (pour exemple, les thérapies de nouvelle génération dont certaines sont basées sur la personnalisation), de monitoring en direct, de maintenance prédictive qui requièrent d’exploiter un maximum les données de production, de modélisation des procédés de production, de gestion des chaînes d’approvisionnement, de sécurité des données et bien d’autres aspects ”.
La digitalisation est devenue omniprésente et pourtant, elle est parfois encore vue par certaines entreprises de taille plus modérée comme un investissement incontournable mais pas encore comme un véritable levier de croissance, malgré des exemples parlants comme Univercells, qui a développé son expertise autour de l’automatisation, ou encore oncoDNA, qui a construit sa stratégie data afin de produire la meilleure approche thérapeutique dans le traitement d’un cancer.
Le tissu économique biotech en Wallonie étant constitué essentiellement de PME, il y a là certainement un élément d’explication à cette timidité à pleinement investir le digital comme levier de croissance.
Le facteur humain reste un des plus grands défis à relever lors de changements de cette ampleur. C’est pourquoi Biowin, l’Agence du Numérique et le CETIC ont lancé en 2022 le programme "Bioman" pour sensibiliser et accompagner les biotechs dans leur digitalisation.
" Le programme proposait un diagnostic digital des activités manufacturières. Il a aidé les entreprises participantes à comprendre leur position, à formaliser les arguments en faveur de la digitalisation et à mobiliser les équipes autour des forces et faiblesses à travailler, pour une vision complète de leur transformation", précise Thierry Ferain (Biowin).
Un travail de longue haleine, mais qui en vaut la peine selon Christelle Henrotin (IDELUX) : " La force d’une entreprise biotech réside dans sa capacité à utiliser et comprendre les équipements, et à analyser les processus de production. La maîtrise des données est essentielle pour propulser l’entreprise vers les étapes de croissance suivantes. Ces modèles digitaux sont nécessaires pour améliorer l’offre, l’expertise et la compétitivité. Les investisseurs sont également attentifs à l’optimisation des ressources. "
Novalis Science Park. Un écosystème digital en pleine croissance
En seulement 10 ans, le Novalis Science Park en province de Luxembourg a vu évoluer de nombreuses startups digitales accompagnées par IDELUX. Pour ces entreprises, l’adoption des technologies digitales est naturelle, elles sont conçues "by design". La data est une véritable culture pour les occupants du parc, qui a inauguré début 2023 son "Boost Up Center" pour accueillir des startups.
" Grâce au digital, on peut simuler beaucoup de recherches, ce qui fait évoluer le métier et la culture du secteur. Le digital permet d’anticiper les problèmes potentiels et de multiplier les chances de réussite d’un projet, produit ou service ", commente Christelle Henrotin (IDELUX).
Synergie entre biotechs et technologies spatiales
La province de Luxembourg bénéficie également de la cohabitation des écosystèmes biotechs et technologies spatiales au sein du parc IDELUX “Galaxia”, le seul parc belge dédié au spatial et à la cybersécurité. On y trouve des entreprises comme Nexova et le centre ESA-ESEC à Redu. Le secteur spatial, avec ses expertises avancées en traitement de données, est un atout majeur pour la Wallonie.
En février 2025, le Centre Cybersécurité IDELUX, financé par le Plan de relance de la Wallonie, ouvrira ses portes sur le parc Galaxia. Cette "cyber-vallée" unique en Belgique profitera au secteur des biotechnologies, où la manipulation d’équipements et de grandes quantités de données nécessite une sécurité renforcée.
Digitalisation des biotechs en Wallonie. Un enjeu de talents et de compétences
La digitalisation des biotechs en Wallonie repose sur les talents et la montée en compétences. En 2025, l’European Biotech Campus ouvrira ses portes sur le site du Biopark de Gosselies, grâce à un investissement du plan de relance. L’équipe est déjà opérationnelle.
" Ce nouveau hub de formation multi-opérateurs pour le secteur de la santé et des biotechnologies propose des programmes couvrant la gestion des data, la validation des systèmes informatisés et la robotisation des ARN messagers", précise Dominique Demonté.
Fonctionnant en agilité avec des partenaires locaux et internationaux, ce campus européen est prêt à mobiliser les expertises les plus pointues. Avec la digitalisation comme levier, tous les éléments sont réunis pour une décennie prospère pour les biotechnologies en Wallonie.
Le point de vue d'essenscia Wallonie-Bruxelles
Selon Frédéric Druck, Directeur d’essenscia Wallonie-Bruxelles, les acteurs des biotechnologies belges, notamment en Wallonie et à Bruxelles, forment un écosystème unique, reconnu au niveau européen et mondial. En trois décennies, nos régions ont créé une véritable health and biotech valley grâce à une alliance entre excellence académique, expertise clinique et capacité industrielle de pointe.
Mais pour maintenir notre leadership, Frédéric Druck insiste sur la nécessité de se préparer aux défis à venir, notamment face à une compétition mondiale accrue. Il considère la transition digitale comme un levier stratégique pour accélérer la recherche et le développement, optimiser la production et renforcer la durabilité.
Pour y parvenir, il souligne l’importance de la formation pour préparer les talents de demain. Des initiatives comme l’EU Biotech Campus et aptaskil sont cruciales car elles forment les professionnels aux technologies émergentes et aux nouveaux outils numériques, indispensables pour maintenir le leadership wallon.
Cette transition nécessite également une transformation culturelle au sein des entreprises. Selon lui, des programmes comme "Industrie du Futur" sont essentiels.
En impliquant tous les acteurs de la recherche et de la production dans cet effort collectif, la Belgique, et par extension la Wallonie et Bruxelles, pourra conserver sa position de choix sur la scène mondiale des biotechnologies.