Du 13 au 15 mai 2024, dans le cadre du projet EDIH Walhub, l'Agence du Numérique, partenaire du projet participait à la mission de veille technologique en Estonie organisée pour les start-ups digitales par Logistics in Wallonia, avec le soutien de l'AWEX. Cette initiative s'inscrit dans le cadre des programmes Digital Wallonia Excellence, Industrie du Futur et Digital Wallonia International de la stratégie numérique de la Wallonie. Quels sont les facteurs de réussite de cet Etat numérique?

Un pari gagné


Tout n’est pas toujours une question de ressource. La preuve en est, en 1991, alors que l’Estonie acquiert son indépendance, elle doit faire preuve d’inventivité car elle ne dispose ni des budgets ni de la main d’œuvre pour assurer les services administratifs.

Ce petit pays mise alors sur le numérique. Le pari est réussi car, aujourd’hui, l’ensemble des démarches administratives peut s'effectuer en ligne, à l’exception du divorce.

Une impulsion, avant tout, politique

C’est une dynamique qui dure depuis 30 ans maintenant. La genèse de ce projet commence tout d’abord avec un gouvernement qui s’engage, en 1994, à travers un schéma stratégique appelé "Principes de la politique d’information estonienne".

Cette stratégie mise en place n’a pas pour unique but de rattraper son retard sur la numérisation de l’administration et la digitalisation au sens large. Elle va bien au-delà. Elle marque une réelle rupture, avec une volonté politique de s’engager totalement pour et par le numérique.

Pragmatisme et simplicité

Tous les projets de numérisation se sont réalisés en gardant à l’esprit d’implémenter une solution courte et simple. Les lois qui les accompagnent le sont également. L’objectif étant de faciliter la compréhension et l'accessibilité pour tous les citoyens.

Dans cette optique, c’est alors naturel que tous les services en ligne de l’administration soient centralisés sur une seule et même plateforme. Les autorités vont encore plus loin en instaurant le principe du  "once only" à travers une série de lois qui se traduit par le fait que toute donnée concernant un individu ne peut être recueillie que par une seule institution attitrée. Par exemple, toute requête relative à l’adresse d’un citoyen doit passer par le bureau du registre. Toutes les administrations devront adresser ce type de demande en ligne auprès du bureau du registre. Ce fonctionnement évite les redondances et imbroglios administratifs.

L’accent est également mis sur la conception du service qui est centré sur les besoins du citoyen et doit-être le plus "user-friendly" possible. Mettre en place des services en ligne est une chose, mais acquérir l’adhésion des citoyens en est une autre. Moins de démarches le citoyen aura à faire, plus son adhésion sera forte.

Le gouvernement estonien prend une position forte : l’utilisateur final est avant tout le citoyen, pas le fonctionnaire.

Transparence, ouverture et collaboration

La digitalisation de ce type de services exige une transparence totale pour éviter au maximum la corruption au sein des autorités et empêcher l’opacité des données.

En Estonie, la plus belle illustration de cette transparence est l’utilisation de la technologie Blockchain qui permet d’avoir un historique authentique de tous les échanges de données, des communications "Machine to Machine" (M2M), des données au repos et des fichiers journaux.

Le partage de la majorité des plateformes permet d’accélérer et de faciliter la conception de nouveaux services mais également l’entrée de nouveaux acteurs, même privés.

C’est notamment le cas du logiciel open-source X-Road, un des projets les plus impressionnant, qui est une couche permettant l’échange de données de manière sécurisée et unifiée entre différents acteurs, quand bien même ces derniers utilisent des systèmes d’information différents en interne. Cette interopérabilité permet dès lors de faciliter les échanges, d’accélérer les procédures et de réduire les coûts. Les premiers acteurs privés à participer à ce projet furent les banques.

Ces partenariats publics-privés ont d’ailleurs été une autre clé de ce succès. Chacun faisant ce qu’ils savaient faire : le gouvernement fixait les attentes, le périmètre et les besoins en termes de services et les acteurs privés, spécialisés dans leurs domaines, remplissaient leur mission.

Avoir un esprit "start-up"

Aujourd’hui, l’intelligence artificielle irrigue tous les secteurs et se retrouve dans toutes les organisations. La 8ème édition du salon Viva Technology qui a eu lieu en mai 2024 a d'ailleurs mis à l'honneur l'IA qui, une fois de plus, a retenu toutes les attentions et les ambitions.

Face à cela, l’Europe doit faire face à un dilemme : réguler pro-activement quitte à freiner l’innovation ? Ou laisser place à l’innovation quitte à réguler après coup ?

Dans le cas de l’Estonie, pays qui compte le plus de licornes par habitant au monde, réelle "startup nation", on ressent réellement qu’au-delà de la régulation, qui est parfois un mal nécessaire, ce pays met tout en œuvre pour faciliter l’émergence et la croissance des entreprises.

Le pays investit, soutient, facilite les démarches administratives. Par exemple :

  • remplir la déclaration fiscale ne vous prendra que 3 minutes, en moyenne.
  • créer une entreprise vous prendra moins d’une heure. T
  • toute personne étrangère peut également établir son entreprise en moins d’une semaine avec le système d’e-residency, les bénéfices réalisés par les entreprises qui sont réinvestis ou reportés ne sont pas taxés.

Cette liste non-exhaustive de mécanismes ne peuvent que laisser libre court à l’innovation. Un sujet qui a notamment fait l’objet d’un fireside chat avec Liina Vahtras au salon VivaTech.

Garder le cap

La digitalisation est un processus continu. Une vision de l’e-Estonie 2030 est déjà fixée et établie.

Dans les grandes lignes, le pays veut renforcer le taux de satisfaction des services en ligne à 90%, améliorer la connectivité du pays et renforcer son excellence en matière de cybersécurité.

Humilité et résilience, toujours

En 2007, l’Estonie est le premier pays à être victime d’une cyber-attaque souveraine suite à un désaccord avec la Russie. Pour renforcer leur résilience, ils ont créé une équipe d’intervention d’urgence informatique et ont souligné l’importance du partage d’informations pour se préparer aux futures cyberattaques.

Cette attaque a eu un impact significatif et a conduit à la création du Centre d’excellence de la cybersécurité coopérative de l’OTAN à Tallinn, faisant de l’Estonie un acteur majeur dans le domaine de la cybersécurité.

Finalement, dans ce parcours, c’est avant tout la notion de résilience et d’humilité qui vient à l’esprit. Avant toute chose, il a fallu bâtir un pays après une occupation soviétique douloureuse. Des générations différentes, des cultures différentes, des passés différents. Mais tous se sont unis pour un futur commun.

Pour en savoir plus

À propos de l'auteur.

Joris Bellenger


Agence du Numérique