À l’heure de la digitalisation croissante, les Entreprises de Travail Adapté (ETA) en Wallonie et à Bruxelles doivent relever un défi de taille : comment intégrer les technologies numériques tout en préservant leur mission sociale ? Si certaines prennent le virage numérique avec enthousiasme, d’autres avancent avec plus de prudence. Dans le cadre des programmes Industrie du Futur et Digital EES, l'Agence du Numérique sensibilise et soutient les acteurs face à ce challenge.
Un rôle crucial dans l'économie
Bien que parfois peu connues du grand public, les entreprises de travail adapté (ETA) occupent une place essentielle dans le paysage économique wallon et bruxellois. Plus encore, la majorité d’entre elles s’intègrent pleinement aux chaînes industrielles et assurent des missions de sous-traitance variées allant du conditionnement à l’assemblage. " Les entreprises de travail adapté sont vraiment dans une logique de sous-traitance de l'industrie de manière générale. Leur structure, c'est dans la grande majorité des usines, des chaînes de conditionnement, des chaînes de montage, etc. " explique Christophe Cocu, Directeur de Eweta, la Fédération Wallonne des Entreprises de Travail Adapté.
Défis et stéréotypes
Malgré leur professionnalisme et leur efficacité, ces entreprises restent victimes de nombreux préjugés. Un exemple marquant illustre cette méconnaissance : " Nous avons été interpellés pour savoir s'il y avait des ETA capables de monter des bornes de recharge pour voitures électriques (…) Et puis, en lisant dans la chaîne de mails, on se rend compte qu'il y a une personne qui dit : "Non, on ne va quand même pas faire ça par des personnes handicapées ". Pourtant, les ETA fonctionnent avec des normes ISO et sont parfaitement capables de mener à bien ces missions. "
Une gestion du travail efficace
La grande force des ETA réside dans leur capacité à organiser le travail de manière optimale en tenant compte des capacités de chacun. Plutôt que de rechercher des profils hautement qualifiés capables de mener un projet de bout en bout, elles adoptent une approche fondée sur la segmentation des tâches et le contrôle qualité. " Là où certaines entreprises s’attendent à avoir des personnes extrêmement bien formées qui vont construire un projet de A à Z, les ETA séquencent les montages, les différentes choses à faire. C'est une vraie force, et on se rend compte qu'il y a même des entreprises qui commencent à se tourner vers elles, car elles n'arrivent pas à recruter des profils extrêmement polyvalents. " explique Christophe Cocu.
Adaptabilité et flexibilité
Pierre Lorquet, chargé de mission "Industrie du Futur" à l’Agence du Numérique, souligne un autre atout des ETA, à savoir leur capacité d’adaptation: " J’ai visité quelques ateliers, et c’est remarquable de voir comment ces entreprises et leurs collaborateurs ont la capacité de s’adapter rapidement quand on leur demande de faire une tâche ou une autre, alors que dans des entreprises ‘classiques’ on constate souvent une résistance au changement importante. "
La transition numérique. Un défi incontournable
Les ETA ne peuvent ignorer la transition numérique, car les entreprises avec lesquelles elles collaborent évoluent rapidement et attendent d’elles un alignement sur les nouvelles exigences technologiques. De plus, les outils numériques peuvent faciliter certaines tâches et améliorer les conditions de travail des employés. Toutefois, l’adoption du numérique se fait à des rythmes très différents selon les ETA. " Il y a 50 ETA, il y a 50 manières d'aborder la digitalisation. Certaines, vraiment du bout des doigts, et d'autres qui rentrent dedans à pieds joints. " explique Christophe Cocu.
C’est dans cette perspective que plusieurs d’entre elles ont participé à un projet pilote d’accompagnement, mené par l’Agence du Numérique, alliant l’implémentation de la solution digitale et la gestion des défis humains et organisationnels qui sous-tendent cette transformation numérique en entreprise.
Modernisation et mission sociale
L’enjeu de cette transition est double pour le secteur : moderniser sans remettre en cause la mission sociale des ETA. " Les ETA, c'est avant tout des entreprises. Elles ont besoin d’un ERP, de logiciels de paie, de suivre les clients, de pouvoir faire la facturation électronique, etc. " poursuit Christophe Cocu.
Toutefois, leur spécificité impose des contraintes particulières : " Dans les travailleurs de production, certains ne savent pas lire ou utiliser un ordinateur. Acheter des machines de découpe qui se programment sur ordinateur, c'est un défi. "
Soutien et accompagnement
Pour faciliter cette transition, certaines ETA bénéficient de soutiens de divers programmes de la stratégie Digital Wallonia, dont certains dédiés spécialement à l’économie sociale. " Ces programmes permettent de mettre en place des projets d’informatisation et de numérisation, par exemple en finançant des logiciels de gestion ou en accompagnant la mise en place d’outils spécifiques adaptés aux travailleurs. Ces initiatives ont donné de bons résultats en permettant à certaines ETA de mieux gérer leurs processus tout en conservant leur approche humaine du travail. "
Formation et compétences
" Pour cette année, le Gouvernement a mandaté l’Agence du Numérique pour accélérer la digitalisation des entreprises d’économie sociale en mettant en place des actions spécifiques, avec un accent particulier sur la formation des équipes et des dirigeants ", explique Marie-Pierre Van Dooren, experte en transformation des organisations à l’Agence du Numérique. L’objectif est de renforcer leurs compétences numériques grâce à des formations adaptées. " En facilitant l’accès aux technologies et en développant les compétences des entreprises, ces initiatives favorisent une transition numérique à la fois efficace et inclusive pour le secteur ", conclut-elle.
Numérisation, automatisation et humain augmenté
Contrairement à certaines idées reçues, la numérisation des ETA ne vise pas à réduire la main-d'œuvre. " On n'est pas dans une réduction de coûts ou d’équivalents temps plein. On est plus sur ce qu'on appelle une augmentation humaine : amener des technologies qui vont aider une personne à faire son travail de manière plus confortable, moins pénible, peut-être plus rapidement et avec moins d'erreurs " explique Pierre Lorquet.
Les ETA privilégient ainsi une approche ciblée de l’automatisation. " Il s’agit de mettre en place des technologies qui vont automatiser certaines opérations plus pénibles tout en gardant l'emploi. ". Les exemples concrets abondent: " L’envoi de courriers est une tâche répétitive qui peut être automatisée sans nécessiter d’intégration complexe. Ce type de solutions permet de gagner du temps sur des tâches répétitives sans impacter l’emploi des travailleurs " conclut-il.
L’intelligence artificielle. Un outil à explorer
L’IA fait déjà son entrée dans certaines ETA, mais la question de sa plus-value spécifique reste ouverte. " Ce que nous aimerions explorer, c'est en quoi l'IA peut aider les ETA à adapter le travail. Pour nous, il ne s’agit pas de remplacer des travailleurs par une machine, mais bien d’utiliser l’IA comme un outil " détaille Christophe Cocu.
Certains directeurs commencent d’ailleurs à l’intégrer dans leur quotidien: " Aujourd’hui, certains ne peuvent pas assister aux réunions, alors ils envoient leur IA qui leur fait un résumé. L’IA est là, mais nous devons encore en comprendre les bénéfices concrets. "