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Publié le 8 octobre 2025

La Commission européenne a franchi une étape décisive ce 8 octobre 2025 en dévoilant deux stratégies complémentaires "AI-First" pour positionner l’Europe à l’avant-garde de l’'intelligence artificielle. L'objectif est clair : généraliser l'adoption de l'IA dans les secteurs clés et consolider l'excellence scientifique.

L'Apply AI Strategy cible l'adoption de l'Intelligence artificielle dans l'industrie et les services publics, tandis que l'AI in Science Strategy vise à révolutionner la recherche scientifique. Avec près d'un milliard d'euros mobilisés (programmes Horizon Europe, Europe numérique, EU4Health, Creative Europe, etc.), l'Europe souhaite afficher clairement ses ambitions en créant un effet de levier public-privé.

Apply AI Strategy. De l'ambition à l'action concrète


Face à un constat préoccupant (seulement 13,5% des entreprises européennes et 12,6% des PME utilisent l'IA), la Commission passe aujourd’hui à la vitesse supérieure. La stratégie Apply AI adopte une approche sectorielle pragmatique avec des actions ciblées pour 11 secteurs stratégiques.

  1. Santé : S'appuyant sur l'infrastructure existante – espaces de données (data spaces) et centres européens d'innovation numérique (EDIC) –, la Commission européenne entend promouvoir l'établissement d'un réseau de centres de dépistage de nouvelle génération, dont le fonctionnement reposera sur l'intelligence artificielle. L'ambition est double : d'une part, accélérer sensiblement le diagnostic des pathologies les plus répandues ; d'autre part, pallier les carences médicales dans les territoires insuffisamment pourvus en professionnels de soins. Le secteur pharmaceutique n'échappe pas à cette transformation. La Commission encourage le recours à l'intelligence artificielle pour la mise au point de thérapies innovantes, allant jusqu'à proposer l'organisation d'un concours consacré aux affections neurologiques complexes, à l'image de la maladie d'Alzheimer.
  2. Robotique : maintenir le leadership européen. Avec plus de 90.000 robots industriels installés en 2023, l'Europe entend conserver son avance. Un catalyseur pour la robotique européenne sera établi dès fin 2025, accompagné de pipelines d'accélération sectoriels pour faciliter l'adoption de robots collaboratifs dans l'industrie.
  3. Manufacturing : les jumeaux numériques en première ligne. Le secteur manufacturier, qui emploie 30 millions de personnes et génère 14% du PIB européen, bénéficiera de modèles d'IA frontière et d'agents IA spécialisés. Les jumeaux numériques permettront aux entreprises de simuler et d'optimiser leurs processus de production avant toute modification dans le monde réel.
  4. Défense et espace : souveraineté technologique renforcée. Une infrastructure de calcul hautement sécurisée sera déployée pour l'entraînement de modèles d'IA de défense et spatiaux. Le Fonds européen de défense accélérera le développement de capacités Command & Control alimentées par l'IA, essentielles pour la sécurité européenne d'ici 2030.
  5. Mobilité : les villes comme terrains d'expérimentation. L'initiative "Autonomous Drive Ambition Cities" transformera des villes européennes en laboratoires vivants pour les véhicules autonomes. Les AI Factories et Gigafactories développeront des plateformes logicielles communes pour accélérer l'innovation dans la conduite automatisée.
  6. Télécommunications : l'edge AI en priorité. Une plateforme Telco AI européenne permettra aux opérateurs, vendeurs et industries de collaborer pour construire des stacks techologiques (Edge AI, Cloud et IoT). Le soutien aux capacités européennes en dispositifs edge AI passera par les consortiums déjà créés, notamment celui sur les puces électroniques (Chips-JU).
  7. Énergie : l'optimisation et l'efficacité. Des modèles IA amélioreront la prévision, l'optimisation et l'équilibrage du système énergétique. L’Europe va aussi encourager un reporting commun et une documentation sur la consommation d’énergie des systèmes d’IA dans les Etats membres afin de combler le manque de données sur la question
  8. Climat et environnement : destination Earth monte en puissance. Un modèle frontière IA open-source du système Terre sera déployé, permettant de meilleures prévisions météorologiques et des scénarios "what-if". Les autorités locales accéderont à des jumeaux numériques intégrant les données Copernicus pour prédire et réduire les impacts du changement climatique.
  9. Agri-food : une plateforme dédiée aux agriculteurs. Face à une adoption limitée de l'IA dans l'agriculture européenne (27% des producteurs utilisent des algorithmes de monitoring selon McKinsey), une plateforme IA agri-food facilitera la découverte et l'intégration d'outils spécialisés. L'objectif : démocratiser l'agriculture de précision et renforcer la confiance du secteur dans l’IA.
  10. Culture et médias : créativité augmentée, droits protégés. DDes micro-studios spécialisés dans la production virtuelle améliorée par l'IA verront le jour. Une étude explorera les défis juridiques liés aux contenus générés par IA, notamment la protection des droits d'auteur. Des plateformes paneuropéennes utilisant l'IA multilingue rendront accessibles actualités et informations professionnelles.
  11. Secteur public : l'exemple par la pratique : 52% des managers publics ont déjà implémenté au moins une solution IA selon une enquête de la Commission. Une boîte à outils dédiée aux administrations publiques centralisera solutions open-source et outils réutilisables, et prendra en compte les aspects juridiques. L'accent sera mis sur l'éducation, avec des solutions d’IA génératives européennes pour améliorer la qualité des services.

Quatre défis transversaux pour une transformation réussie

  1. PME et Startups : les Digital Innovation Hubs deviennent des Experience Centres for AI. Plus de 250 pôles d'innovation, couvrant 85% des régions européennes, seront convertis en centres d'expérimentation dédiés à l'intelligence artificielle. Ces structures constitueront autant de points d'entrée privilégiés vers l'écosystème européen de l'innovation, favorisant l'émergence et la diffusion de solutions technologiques européennes fondées sur des solutions open source.
  2. Compétences : l'AI Skills Academy en action. Des formations pratiques adaptées aux secteurs et profils professionnels seront accessibles via l'AI Skills Academy dès 2026. Des programmes "AI for business" développeront des profils hybrides, tandis qu'un "AI entrepreneurs lab" réunira diplômés et mentors expérimentés.
  3. IA comme facteur de production : l'initiative Frontier AI. Cette initiative coordonne les efforts stratégiques européens en IA de pointe. Des compétitions européennes développeront des modèles frontières ouverts, avec accès gratuit aux supercalculateurs EuroHPC. Les modèles résultants seront largement disponibles pour les autorités publiques et pour les communautés scientifiques et économiques.
  4. Confiance et conformité : simplifier l'AI Act. Le guichet unique du règlement sur l'intelligence artificielle (AI Act Service Desk), instance centrale d'information et d'orientation, met d'ores et déjà à disposition un vérificateur de conformité interactif. Des lignes directrices prioritaires viendront préciser la taxonomie des systèmes à risque élevé ainsi que leur articulation avec les corpus législatifs sectoriels préexistants.

AI in Science : RAISE comme catalyseur européen


La stratégie AI in Science crée RAISE (Resource for AI Science in Europe), institut virtuel européen coordonnant les ressources IA pour la recherche.

Des investissements massifs et structurés :

  • 58 millions d'euros pour les réseaux d'excellence doctoraux dans le cadre du pilote RAISE
  • 600 millions d'euros d'Horizon Europe pour l'accès aux capacités de calcul
  • Objectif de doubler les investissements annuels en IA à plus de 3 milliards d'euros

Le sommet de Copenhague


Les 3-4 novembre 2025, le sommet AI in Science à Copenhague lancera officiellement le pilote RAISE. Cet événement, co-organisé avec la présidence danoise, mobilisera décideurs, chercheurs et industrie autour d'une campagne d'engagement du secteur privé.

Gouvernance. Coordination et monitoring


L'Apply AI Alliance transformera l'AI Alliance existante en forum de coordination pour les parties prenantes sectorielles. Les stakeholders pourront exprimer publiquement leur intérêt pour des workflows sectoriels spécifiques et accéder directement aux décideurs.

Un AI Observatory fournira des indicateurs robustes pour évaluer l'impact de l'IA dans les différents secteurs. Sur base de ces données, la Commission proposera un objectif d'investissement public et privé en IA dans le contexte de la décennie numérique.

Dimension internationale. Souveraineté et coopération


Face aux dépendances externes et aux risques géopolitiques, l'UE renforce sa résilience. Les AI Factories et les Gigafactories représentent un changement d'échelle majeur. La doctrine de sécurité économique à venir adressera les vulnérabilités des chaînes d'approvisionnement.
L'Europe promeut parallèlement l'IA pour le bien public, travaillant avec ses partenaires internationaux dans le cadre du G7, du G20, du Global Partnership on AI, de l’OCDE et de l’ONU.

Data Union Strategy. Le chaînon manquant


Fin octobre 2025, la Data Union Strategy complétera ce dispositif en garantissant l'accès à des données de haute qualité, essentielles pour entraîner les algorithmes et réaliser le plein potentiel de l'IA européenne.

Une mobilisation générale pour l'AI continent


Ces stratégies concrétisent l'ambition du AI Continent Action Plan lancé en avril 2025. Avec des actions ciblées, des financements substantiels et une gouvernance inclusive, l'Europe se donne les moyens de ses ambitions : devenir un des leaders mondiaux de l'IA tout en préservant ses valeurs et sa souveraineté technologique.
Les États membres sont appelés à aligner leurs stratégies nationales sur cette approche sectorielle. Le secteur privé peut rejoindre l'Apply AI Alliance pour participer activement à cette transformation historique de la société européenne.

Pour en savoir plus

À propos de l'auteur.

Pascal Poty


Agence du Numérique