A l’heure où les maîtres mots en entreprise sont flexibilité, autonomie, collaboration, réseaux, de nouvelles formes d’organisation et de management apparaissent, générant leur lot de défis et d’opportunités. Quelles sont les différentes dimensions qui se cachent derrière le concept de NWOW ? Quel est leur impact sur les modes d’organisation du travail d’aujourd’hui et de demain ?
Le 27 mai dernier avait lieu à Bruxelles un Lab’In Sight consacré à la thématique du travail collaboratif à l’ère des réseaux. Le constat à la base de cette initiative : l’évolution des technologies numériques, la mondialisation des échanges, la dématérialisation croissante de la production et l’individualisation de la relation de travail remettent en question le mode de gestion des ressources humaines tel que nous l’avons connu jusqu’à présent.
Les enjeux liés aux nouvelles façons de travailler font l'objet d'étude de la part de plusieurs équipes de recherche des Universités et Hautes-Ecoles francophones depuis ces dernières années. Quelles sont leurs recommandations et les solutions qu’elles peuvent proposer ? Digital Wallonia vous propose de faire le point sur la question.
New Work ?
Le concept de NWOW ("New Ways of Working" ou nouvelles formes d’organisation du travail – NFOT en français) se réfère à une nouvelle forme d’organisation du travail qui comprend une philosophie de travail fondamentalement nouvelle et qui modifie également les pratiques de management qui y sont associées.
En pratique, cette dénomination commerciale lancée par Microsoft renvoie à un ensemble très hétéroclite de pratiques de flexibilité et d’usages des technologies de l’information et de la communication (TIC), qui ont pour point commun de se positionner en rupture avec les formes traditionnelles d’organisation du travail, rompant avec la rigidité, le cloisonnement et la lourdeur qui leur sont souvent associés.
Le Pr. Laurent Taskin de l'UCL propose de définir les NWOW comme un "mix organisationnel de pratiques de flexibilité du temps et de l’espace de travail, d’organisation du travail (en équipe, semi autonomes, virtuelles, p.ex.) et de management (par projets, par objectifs et tournées vers le partage des connaissances, essentiellement) dont la mise en œuvre est facilitée par les technologies de l’information et de la communication (TIC), et qui s’inscrit au cœur d’une vision particulière de l’entreprise".
Les NWOW consistent ainsi en une large variété de concepts et mesures permettant d’encourager la flexibilité du lieu et du temps de travail, mais également en une série de changements organisationnels.
De façon synthétique, on peut considérer que les NWOW entraînent des transformations autour de quatre aspects principaux :
- L’espace physique de travail : l'idée est favoriser la flexibilité concernant le lieu et les horaires de travail, en intégrant des horaires flexibles, du télétravail et des espaces de travail flexibles dans le but de permettre une meilleure adéquation aux tâches de travail ;
- Les TIC : utilisation des nouvelles technologies afin de permettre aux employés d’être connectés et donc de collaborer a priori partout et tout le temps ;
- L’organisation et le management : évolution vers plus de confiance de la part des managers envers leurs employés, octroi de plus d’autonomie, stimulation de l’initiative et évaluation des résultats plutôt que de la présence physique de l’employé ;
- La culture de travail : culture de l’échange d’information, collaboration en réseau.
Le NWOW dans les PME wallonnes
Même si la thématique du NWOW est en essor dans notre pays, un constat doit être posé : elle est dans la très grande majorité des cas investie par les grandes entreprises et les organisations publiques. Les PME, en particulier wallonnes, de leur côté, ne disposent pas toujours de l'information, des ressources (humaines, matérielles et temporelles) ni de l'expérience pour mener à bien une transformation de leurs façons de travailler. L'Agence du Numérique est membre du comité de suivi du projet NWOW-PME qui vise à proposer aux PME une plate-forme rassemblant un ensemble de bonnes pratiques et d'échanges d'expériences de mise en œuvre de différentes formes de travail à distance. Dr. Giseline Rondeaux, chargée de recherche à l'Université de Liège, nous en dit plus sur le projet.
Digital Wallonia : quel est l’objectif premier du projet NWOW-PME mené par l’ULg et l’UCL ?
Dr. Giseline Rondeaux : "Le projet s’inscrit dans la perspective d’une professionnalisation des modes de gestion des PME en vue d’éviter le risque d’une distanciation avec les grandes entreprises en matière de nouvelles formes d’organisation et de travail (NWOW). Il vise à identifier à quelles conditions le NWOW peut répondre aux besoins spécifiques des PME. Il permettra aussi d’évaluer les impacts de ces expériences sur plusieurs dimensions: qualité de vie au travail, flexibilité, collaboration, gestion des équipes et leadership. Sur le plan technique, nous considérons en particulier la sécurité des échanges, la portabilité des applications, le partage de plateformes et d’accès distants, etc".
Une plateforme d’échange de ressources et de bonnes pratiques sera développée dans ce projet. Elle vise à :
- développer et formaliser un réseau rassemblant diverses catégories d’acteurs autour de la thématique ;
- capitaliser l’expérience des entreprises engagées dans ce type d’initiatives ;
- accompagner les PME qui souhaiteraient mettre en place divers dispositifs en matière de NWOW en leur prodiguant différentes ressources telles qu’un guide méthodologique et un répertoire d’experts.
Digital Wallonia : quels sont les principaux freins actuels à l’adoption des nouvelles façons de travailler pour les PME wallonnes ?
Dr. Giseline Rondeaux : "Un nombre croissant d’organisations adopte les NWOW, conséquence, selon eux, non pas d’une augmentation espérée de la productivité, mais d’une anticipation nécessaire des enjeux sociaux à venir. Attirer la main d’œuvre qualifiée, s’adapter au vieillissement de la population, faire face à l’augmentation du trafic routier et la perte de temps associée, etc. sont autant d’enjeux qu’il est nécessaire d’anticiper et pour lesquels les NWOW peuvent être une alternative crédible. Les NWOW ne permettent pas seulement de décaler ses horaires de travail, mais offrent également la possibilité de travailler à distance rendant ainsi l’obligation de se rendre dans les bureaux de son entreprise obsolète.
Cependant le NWOW pose des défis managériaux majeurs, tant pour le travailleur que pour l’entreprise: le travailleur peut faire face à diverses difficultés telles que l’affaiblissement des relations, moins d’opportunités de carrière, une augmentation de la charge de travail, un accès potentiellement restreint aux formations, une organisation complexifiée du temps de travail, etc. L’entreprise, quant à elle, risque une inadéquation des NWOW avec sa culture, des difficultés à contrôler les collaborateurs, un risque accru par rapport aux données sensibles, des problèmes de communication et de cohésion, etc.
Les NWOW supposent ainsi de considérer nombre de défis qui concernent en matière d’organisation, de gestion du personnel ou de sécurité. Or, il apparaît tant dans la littérature scientifique que dans les études empiriques que de nombreuses PME sont dans des modèles d’organisation du travail et de GRH assez informels, voire paternalistes ou obsolètes. Elles sont donc in fine peu équipées au niveau organisationnel afin de faire face à ces défis majeurs, alors même que leurs besoins en matière de flexibilité, de rétention des compétences, d’économie des ressources, s’expriment de manière croissante.
De manière plus pratique, le NWOW est surtout investi, de nos jours, par les grandes entreprises et administrations. Alors que le taux d’équipement TIC des PME est en progression, leur usage semble se borner à un petit nombre d’applications de base (stockage et bureautique) (voir à ce sujet le Baromètre AWT, 2014) dont les coûts en terme d’exploitation restent assez faibles. De surcroit, des pratiques de NWOW telles que le flexdesk supposent un investissement financier de base conséquent, souvent difficilement supportable par les PME".
Digital Wallonia : quelle est votre vision de l’évolution des façons de travailler dans les PME wallonnes pour les 10 prochaines années ?
Dr. Giseline Rondeaux : "Tout d’abord, précisons que l’analyse des recherches portant sur les PME nous conduit à opter, dans nos travaux, pour une approche de ces entreprises qui se soit ni trop universaliste (c’est-à-dire reposant sur un unique archétype de « la » PME) ni trop contingente (considérant chaque PME comme un contexte spécifique en soi). En effet une approche trop universaliste nous apparaît comme réductrice de la richesse et de la diversité de PME de tailles, secteurs, activités ou encore logiques de gestion et stratégie différentes. En revanche, une approche trop contingente serait dommageable à notre projet de recherche et à l’atteinte de ses objectifs, dans la mesure où elle irait à l’encontre d’une réflexion sur la transférabilité des bonnes pratiques, qui se trouve au fondement de notre démarche.
En conséquence, il est difficile de généraliser une vision ou un modèle à venir pour les 10 prochaines années. Le NWOW se présente à la fois comme une réponse à divers types de préoccupations tant sociétales, organisationnelles et inter-organisationnelles, qu’individuelles. Dès lors, suivant leur secteur, l’organisation de leurs activités, le type de métiers et de choix stratégiques posés par les dirigeants des PME, il est probable que celles-ci s’orienteront vers des formes de travail diversifiées, qui privilégient cependant davantage de flexibilité, de transversalité, dans une organisation plus participative et collaborative.
Cependant, ce virage vers les nouvelles formes de travail ne sera sans doute pas observé avec la même intensité dans toutes les PME. Notre recherche montre que, par exemple, le développement de ces nouvelles formes de travail est peu présent dans les PME dites traditionnelles. Ces PME s’appuient sur des réseaux de proximité immédiate avec clients, fournisseurs et employés, et exploitent ainsi leur localisation et leur expérience, dans une idée de continuité. Ce type d’entreprise, généralement peu innovante se rencontre souvent dans des secteurs tels que l’artisanat, la construction, l’horeca ou encore les petits commerces de proximité voire les services aux particuliers ; secteurs dont la nature même des activités tend à limiter certaines formes de flexibilité (notamment spatiale). Ce qui est essentiel, c’est de d’offrir aux PME - qui, rappelons-le, représentent plus de 90% du tissu économique wallon – désireuses de s’engager dans ce type de voie les conditions nécessaires à l’implémentation et à la stabilisation de ces nouvelles formes de travail".
Quelles compétences numériques et médiatiques pour les travailleurs du NWOW?
La transformation numérique touche les entreprises, et a fortiori leurs collaborateurs. Le projet national LITME@WORK mené par un consortium de 4 universités belges, vise à identifier les compétences numériques et médiatiques des travailleurs sur base de trois axes d'étude : les pratiques des travailleurs; la compréhension de comment on envisage les compétences médiatiques numériques dans les discours en entreprise ; l'étude de la façon dont est organisé le travail en entreprise.
Le projet vise à partir de l’observation pratique des travailleurs sur le terrain pour mettre au jour les compétences que les travailleurs ont et devraient avoir.
Le Pr. Anne-Sophie Collard (UNamur) est une des responsables de ce projet suivi par Digital Wallonia.
Digital Wallonia : quelle est la genèse du projet LITME@WORK?
Pr. Anne-Sophie Collard : " Le projet est né d’une volonté des 4 universités de travailler ensemble sur le sujet. Nous avons profité d’un appel à projet BRAIN-be. Digital Turn pour lancer ce projet de recherche dédié à la compréhension des enjeux liés à la mise en place d'outils numériques en entreprise. Le projet a débuté en mars 2015. Depuis avril/mai 2016, nous sommes dans une phase de récolte des données sur le terrain jusqu’au printemps 2017 et nous serons en mesure de communiquer les premiers résultats dans le courant de l’année 2018".
Digital Wallonia : quels sont les principaux changements induits par les nouvelles façons de travailler sur les besoins en termes de littératie numérique et médiatique en entreprise ?
Pr. Anne-Sophie Collard : "Le NWOW a un impact certain sur la gestion d’équipe à distance. Il est important de considérer les compétences de manière articulée (p.ex : compétences techniques et communicationnelles -> organiser l’information en vue de la communiquer/partager). Il faut également prendre en compte le fait que certains travailleurs ne sont pas présents physiquement. Par exemple, il faut parvenir à conduire des réunions où une partie du personnel est présente physiquement et l’autre en contact à distance ; le travailleur absent physiquement doit penser à gérer sa présence dans l’organisation et les travailleurs doivent être conscients de l’équipement dont disposent chacun des membres de l’équipe pour assurer une continuité dans leur activité lorsque certains sont absents. Les notions de participation et d'empowerment sont aussi cruciales: le fait de se constituer un réseau de personnes appartenant à différents services et de configurer les moyens de télécommunication disponibles pour pouvoir collaborer efficacement avec les différents membres relève d’une certaine compétence en écriture sociale et médiatique".
Digital Wallonia : quels sont les défis liés à la transformation numérique que vous avez pu identifier?
Pr. Anne-Sophie Collard : "Les enjeux se situent à différents niveaux. Pour les entreprises, il s'agit de faire en sorte que leurs collaborateurs soient capables de travailler ensemble, de collaborer tout en n’étant pas nécessairement présents physiquement dans l’organisation, d'encourager l'innovation par la collaboration (équipes virtuelles) et de veiller au bien-être des travailleurs; tout en faisant face aux contraintes inhérentes au monde de l'entreprise qui sont les préoccupations économiques de rentabilité, de rationalisation des moyens et d'efficacité dans la manière d’atteindre les objectifs définis.
Du côté du travailleur, on peut noter que les enjeux se présentent en matière de gestion de l'équilibre en vie privée et vie professionnelle, des contraintes liées à la flexibilité du travail, la capacité à devoir évoluer de manière critique et autonome, et la participation (même au sens politique du terme) aux objectifs organisationnels de l'entreprise.
Enfin, au niveau de la société, on peut noter des enjeux importants en termes de mobilité et d'écologie (réductions des émissions de CO2) notamment".