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Publié le 10 mars 2025

L'Agence du Numérique vous propose une immersion dans la journée "augmentée par l'intelligence artificielle" d'un directeur d'école ... ou comment utiliser l'IA comme un outil d’aide à la décision, mais pas comme comme un substitut à l'humain qui pourrait prendre des mesures automatiques concernant la discipline, l’évaluation ou le suivi pédagogique.

Il est 8h25, un couplet de la chanson "Apt" de Rosé et Bruno Mars se fait entendre en guise de signal, les élèves de l’école Saint-Exupéry s’éparpillent dans la cour pour rejoindre leurs classes respectives.

Dans son bureau, Monsieur Lemoine soupire en regardant sa tasse de café encore intacte. Chaque matin, il espère pouvoir la boire chaude, mais la technologie a beau évoluer, elle n’arrive toujours pas à gérer son emploi du temps complexe de directeur.

Il jette un œil à son tableau de bord numérique. Grâce au système de badge RFID, les présences ont été automatiquement enregistrées. Il remarque rapidement qu’un élève, Paul, n’a pas badgé. Son professeur principal reçoit une alerte et peut lui demander de signaler son arrivée. Une absence non justifiée suppose une notification vers les parents, mais aucun traitement automatisé n’envoie immédiatement un message : un membre de l’équipe éducative doit valider chaque cas, garantissant une supervision humaine.

Son écran clignote à nouveau. Une autre alerte : un besoin croissant de soutien en sciences dans plusieurs classes. L’IA, en analysant les résultats des élèves aux dernières évaluations et les demandes des enseignants, propose une meilleure répartition des heures d’encadrement et de remédiation, permettant d’envoyer du renfort dans les classes où les élèves en ont le plus besoin. Une proposition d’adaptation d’horaire de deux enseignants est jointe à l’alerte.

Avant qu’il ne puisse enfin porter sa tasse à ses lèvres, une autre notification s’affiche. Anomalie énergétique détectée. Certaines salles ne seront pas utilisées en matinée, car deux enseignants sont absents et les 4ème C sont en sortie scolaire. Les locaux restent chauffés inutilement. L’IA ajuste automatiquement la température pour optimiser la consommation énergétique, réduisant légèrement le chauffage sans compromettre le confort des élèves et des enseignants. Elle éteint aussi les lumières de ces classes automatiquement.

Monsieur Lemoine esquisse un sourire : grâce à cette optimisation, les factures de chauffage ont baissé, ce qui signifie plus de budget pour acheter du nouveau matériel scolaire… ou, rêvons un peu, une machine à café digne de ce nom.

Et comme si l’IA l’avait entendu (mais non, il ne faut pas exagérer), une autre alerte signale qu’un vidéoprojecteur est en panne dans une salle de cours. Plutôt que d’attendre une intervention longue, l’IA identifie immédiatement un appareil disponible dans une autre salle, avertit le professeur et notifie le support technique afin d’organiser le dépannage du matériel défectueux.

Il est déjà 10h23 et la récréation est en cours.

Dans les couloirs, une montée soudaine du bruit est détectée par le système bidirectionnel de diffusion audio, celui-là même qui produit la musique hip-hop âprement négociée avec le conseil des élèves. L’algorithme alerte un surveillant, qui se rend sur place et découvre une altercation entre deux élèves.

Celui-ci intervient, calme les protagonistes, consulte l’historique des interactions et constate que ces deux élèves ont déjà eu des conflits auparavant. Plutôt qu’une sanction immédiate, le système suggère une médiation, une approche plus constructive qui laisse aux éducateurs la possibilité d’intervenir de façon moins directe.

À la cantine, aujourd’hui, c’est le jour des cordons bleus et des petits pois.

Une autre technologie entre en action : l’algorithme analyse les tendances de consommation des semaines précédentes, les présences du jour, rappelant que la classe de 4ème C est en sortie, et suggère le nombre de portions à préparer afin d’éviter le gaspillage.

En parallèle, un système de gestion des allergies basé sur les choix déclarés par les élèves permet de renforcer la sécurité alimentaire. Lorsqu’un élève scanne son badge au terminal de la cantine, un affichage numérique lui rappelle les allergènes présents dans le menu du jour, l’incitant à vérifier sa sélection.

L’après-midi, un test de mathématiques adaptatif est organisé en 4ème A.

Contrairement aux évaluations classiques, l’IA ajuste en temps réel la difficulté des exercices : si un élève réussit facilement, il reçoit des questions plus complexes. S’il rencontre des difficultés, le test s’adapte avec des exercices plus progressifs. Une fois l’épreuve terminée, les résultats sont analysés immédiatement, offrant aux enseignants des indicateurs précis sur les forces et faiblesses de chaque élève. Seul le professeur valide la note finale, garantissant que l’IA reste un outil d’aide à l’évaluation et non un arbitre automatisé.

Avant de quitter l’établissement, Monsieur Lemoine consulte une dernière analyse.

L’IA a détecté une tendance préoccupante dans les absences de certains élèves, avec des retards répétés et des absences stratégiques avant les contrôles. Plutôt que d’envoyer des notifications automatiques aux parents, l’algorithme propose une réunion avec les enseignants concernés, afin de mieux comprendre la situation et de mettre en place des solutions adaptées.

Il referme son ordinateur et regarde sa tasse, toujours pleine, désormais froide. Il soupire. L’IA peut gérer des salles, des plannings et des vidéo-projecteurs, mais elle ne pourra jamais empêcher un directeur d’être trop occupé pour boire son café.

L’IA à l’école : cadre légal et respect des droits


Dans ce scénario, l’IA est utilisée comme un outil d’aide à la décision, jamais comme un substitut aux humains. Elle ne prend pas de mesures automatiques concernant la discipline, l’évaluation ou le suivi pédagogique. L’ensemble des usages de l’IA dans cette journée est donc conçu pour respecter les législations belges et européennes, notamment le AI Act et le RGPD.

Le AI Act classe les systèmes d’IA en quatre niveaux de risque. Ici, toutes les utilisations respectent le cadre "à faible risque", qui impose une transparence sur les algorithmes et une supervision humaine systématique.
Les systèmes liés à la gestion énergétique et la maintenance des équipements sont également parfaitement conformes puisqu’ils ne traitent aucune donnée personnelle sensible et optimisent simplement les infrastructures scolaires.

Les outils d’évaluation et de suivi pédagogique, quant à eux, ne remplacent jamais l’enseignant et servent uniquement de support pour détecter certaines tendances ou faciliter la personnalisation des apprentissages.

Ce qui aurait été interdit dans ce scénario, en revanche, ce sont toutes les formes de surveillance biométrique ou d’analyse comportementale intrusive. En Europe, l’IA ne peut pas analyser les expressions faciales ou prédire les émotions d’un élève pour anticiper un conflit. De même, elle ne peut pas établir un "score de risque" de décrochage et prendre des décisions sans médiation humaine.

L'intégration de l'intelligence artificielle (IA) dans les pratiques pédagogiques redéfinit cependant le rôle des enseignants. L'UNESCO a publié son référentiel de compétences en IA pour les enseignants, une ressource clé décryptée par l'Agence du Numérique dans le cadre des programmes Digital Wallonia 4.Edu et Digital Wallonia 4 AI.

L’IA est ici utilisée dans un cadre strictement pédagogique et administratif, où les données restent anonymisées et où les parents comme les élèves ont un droit d’accès, de correction et d’opposition aux informations collectées.

Cette école "intelligente" ne repose pas sur un contrôle algorithmique excessif, mais bien sur un équilibre entre innovation et respect des libertés fondamentales. Loin d’être un outil de surveillance ou de sélection, elle permet aux enseignants et aux éducateurs de travailler plus efficacement, tout en restant dans un cadre éthique et légal.
Et qui sait, peut-être qu’un jour, l’IA pourra aussi rappeler à Monsieur Lemoine de réchauffer son café.

Sources et législations


Pour en savoir plus

À propos de l'auteur.

Sébastien Reinders


Agence du Numérique